La fin de la guerre

La propagande annexionniste veut parvenir dans le plus bref délai à un plébiscite auquel auraient pu "votare solo le persone di ambo i sessi, di padre e madre valdostani, nati ed aventi residenza stabile nella Valle prima del 1914 (d'après la lettre du 3 juin 1945, adressée par le comandant Augusto Adam, "le maquisard Blanc", au général Luigi Chatrian - M. Lengereau, op. cit.). Le résultat aurait été presque escompté: d'un côté l'Italie vaincue et sortant de la politique fasciste qui avait cherché à étouffer les minorités et le particularisme linguistique et culturel de la Vallée d'Aoste, de l'autre les vainqueurs français porteurs de promesses de bien-être.

Dans ce climat, et avec ces tensions qui ne se sont pas assoupies, le 28 avril 1945 la Vallée d'Aoste est libérée par les maquisards. Le Comité de libération nationale valdôtain nomme Alessandro Passerin d'Entrèves préfet et Giulio Torrione syndic d'Aoste. Le lendemain, quelques détachements français franchissent le col du Petit-Saint-Bernard et le col de Rhêmes; les Américains n'arrivent en Vallée d'Aoste que le 4 mai. Les annexionnistes fondent le "Comité Valdôtain de Libération" qui, dans son programme, affirme que la Vallée d'Aoste est "... indépendante et libre de tout lien envers la couronne royale italienne et le gouvernement italien de Rome"; le préfet Passerin d'Entrèves, d'un tout autre avis, fait placarder le 10 mai un avis s'adressant à la population en ces termes: "... nous saurons nous assurer dans le plus bref délai possible le redressement de tous les torts que le fascisme nous a causés, la restauration de nos droits violés, l'aboutissement de nos efforts et de nos aspirations légitimes. Nous avons eu du gouvernement de Rome et du CLN de la Haute Italie des assurances précises à ce sujet. Elles sont déjà en voie de réalisation grâce aussi a l'appui des autorités alliées. Le rêve de notre inoubliable Chanoux, le martyr de la cause valdôtaine, va devenir une réalité. Les montagnards vont de nouveau se gouverner eux-mêmes, la liberté sera le prix des durs sacrifices qu'ils ont toujours fait pour la Patrie. Déjà notre langue française, les chers vieux noms du pays, ont été rétablis. A nous de montrer que vouloir la liberté et l'autonomie de notre petite patrie ne signifie pas renier notre patrie plus grande, à laquelle nous sommes liés par tout un passé d'honneur et de fidélité".

Même les maquisards partageant la cause italienne, parmi lesquels Cesare Ollietti (Mésard), ne démordent pas: le 12 mai 1945 le C.N.L. d'Aoste décide d'adresser à Churchill, Stalin, Truman ainsi qu'au Président de la Conférence de San Francisco un télégramme pour dénoncer les abus des Français et leurs ambitions expansionnistes. La stratégie du C.N.L., de Passerin d'Entrèves et de Chabod est très claire: elle vise à inciter, d'un côté, les alliés à intervenir pour limiter les ambitions françaises et, de l'autre, le gouvernement italien à donner un contenu à ses promesses réitérées. Le succès de cette stratégie est double: De Gaulle retire les troupes de la Vallée d'Aoste et, plus tard, assure à l'ambassadeur d'Italie à Paris, Giuseppe Saragat, que la France n'a aucune visée sur la région, tandis que Ferruccio Parri soumet au Conseil des ministres deux décrets législatifs concernant l'autonomie valdôtaine. Avant même d'être promulgués et d'entrer en vigueur (à dater du 1er janvier 1946, quand la Vallée d'Aoste est "rendue" par le gouvernement militaire allié à l'administration du gouvernement italien) ces décrets seront contestés dans les réunions publiques où ils sont présentés. Le 6 septembre 1945, un jour avant leur signature par le roi, Maria Ida Viglino démissionne de ses fonctions de président du C.N.L. valdôtain pour protester contre l'autonomie insuffisante qui a été octroyée à la Vallée d'Aoste.

Le 7 septembre 1945, Humbert de Savoie, lieutenant général du Royaume, signe les deux décrets, n° 545 et n° 546, portant respectivement "Ordinamento amministrativo della Valle d'Aosta" et "Agevolazioni di ordine economico e tributario a favore della Valle d'Aosta". Le premier supprime la Province d'Aoste, crée une circonscription autonome et établit les organes préposés à son administration: un Conseil composé de vingt-cinq membres, un Président et un Gouvernement de cinq membres; il convient de noter que l'article 13 de ce décret renvoie à une disposition successive le soin d'énumérer "le materie che potranno essere disciplinate dal Consiglio della Valle con norme giuridiche proprie, anche in deroga alle leggi vigenti". Le deuxième décret accorde à la Vallée d'Aoste, pour un délai de quatre-vingt-dix-neuf ans, la concession des eaux publiques n'ayant pas fait l'objet d'une reconnaissance d'exploitation ou de concession. Une disposition analogue est prévue pour les mines, pourvu que la Région en fasse expressément la demande. Il importe, par ailleurs, de souligner que, si la zone franche est créée, son application est cependant renvoyée à des dispositions successives (cet énoncé, nous le retrouverons à l'art. 14 du Statut spécial). Un acte ultérieur établira la participation de l'Etat aux besoins financiers de la Région.

De novembre à décembre de la même année, d'autres décrets ont complété et perfectionné les précédents, en matière d'organisation scolaire et de personnel enseignant (en instituant les rôles régionaux pour les écoles élémentaires et moyennes, les inspecteurs des écoles, les directeurs de l'enseignement ainsi que les chefs d'établissements) et des juges d'instance. Ils attribuent à la Vallée d'Aoste la "compétence" dans certains secteurs, à savoir notamment: l'ancien bureau sanitaire provincial, l'ancienne inspection provinciale de l'agriculture, le commandement local du corps forestier, l'ancien bureau provincial de l'Industrie et du Commerce d'Aoste, l'ancien bureau provincial du tourisme ainsi que la chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture.